Le 15 janvier, l’organiste français Michel Bouvard a donné le coup d’envoi du Marathon de l’Orgue, une série de concerts célébrant la fin de la restauration de l’orgue de la grande salle du prestigieux conservatoire Tchaïkovski de Moscou, créé il y a plus d’un siècle par le facteur français Aristide Cavaillé-Coll. Reportage
L’orgue Cavaillé-Coll dans la grande salle du conservatoire Tchaïkovski à Moscou. Crédits : Elodie
Vendredi 13 janvier, deux jours avant le concert, le célèbre organiste français s’apprête à se rendre au conservatoire pour y faire la connaissance de l’orgue Cavaillé-Coll. Arrivé la veille au soir à Moscou, Michel Bouvard, originaire de Lyon, dont la passion pour cet instrument lui vient de son grand-père, l’organiste et compositeur Jean Bouvard, confie être ému de se produire pour la première fois dans cette « grande cité de Culture ». « C’est évidemment très émouvant de jouer dans la salle historique de ce conservatoire mythique », reconnaît-il.
Restauré au cours de ces six derniers mois par le facteur français Denis Lacorre, l’orgue historique, tout de bois et d’acier, est l’œuvre d’Aristide Cavaillé-Coll, considéré comme le plus grand facteur d’orgue français du XIXe siècle.
« C’est un peu notre Dieu à nous ! », plaisante Michel Bouvard qui, passionné et expert de son art, insiste sur la « révolution » de Cavaillé-Coll. « Il a inventé un nouvel instrument, faisant évoluer l’orgue classique d’église vers l’orgue symphonique de salle », souligne-t-il.
Si six cents orgues construits par le facteur français ont été vendus en France et à l’étranger, la grande majorité d’entre eux ont été modifiés, dans les années 1930, pour être adaptés aux tendances musicales de l’époque. Michel Bouvard insiste : l’orgue Cavaillé-Coll de salle à Moscou est aujourd’hui le seul, dans toute l’Europe, à avoir été préservé dans son état original. « Du moins à ma connaissance. Le Cavaillé-Coll de Moscou est un vestige d’un temps, d’une époque », poursuit l’organiste français.
Dans les coulisses de l’histoire.
Michel Bouvard derrière l’orgue Cavaillé-Coll à Moscou. Crédits : Elodie-Louise Testa
À l’intérieur du Conservatoire, sur la scène de la grande salle, l’instrument monumental, de plus de 10 mètres de haut, crache de toute sa puissance les notes d’une pièce de Bach, Brahms ou Franck. La musique de l’orgue Cavaillé-Coll emplit le lieu d’un son impressionnant, envoûtant, à vous faire perdre vos repères.
Assise face à la scène, Natalia Malina, petite dame d’un âge avancé responsable du cours Histoire et théorie de l’orgue au conservatoire Tchaïkovski, écoute résonner l’instrument avec la plus grande attention. Pour cette ancienne experte-consultante et membre du Conseil de l’orgue du ministère soviétique de la culture de 1975 à 1989, l’histoire du Cavaillé-Coll n’a aucun secret, même si « naturellement, ce n’est pas un sujet que l’on peut traiter en quelques minutes ! », avertit-elle.
La spécialiste concède toutefois quelques indications : l’orgue Cavaillé-Coll est né d’une amitié entre deux grands maîtres de la musique symphonique, le Russe Piotr Tchaïkovski et le Français Charles-Marie Widor.
À l’ouverture du conservatoire de Moscou, en 1866, Tchaïkovski vient y diriger des classes d’orgue. À l’époque, la grande salle n’existe pas encore et les élèves jouent sur des orgues d’église. En 1888, le compositeur va passer quelques jours à Paris, où, lors d’une visite de l’église Saint-Sulpice, il rencontre Charles-Marie Widor. Partageant le même désir d’intégrer l’orgue à l’orchestre symphonique, les deux hommes deviennent amis et travaillent par la suite en étroite collaboration, jusqu’à la mort de Tchaïkovski, en 1893.
En 1895, les travaux de la grande salle commencent au conservatoire moscovite. Estimant qu’un orgue d’église ne conviendra ni à la configuration, ni à l’acoustique de la salle, Widor propose aux responsables du lieu d’y installer une pièce du facteur français Aristide Cavaillé-Coll.
Le 1er août 1897, une délégation du Conservatoire moscovite rencontre, à Paris, le facteur d’orgue français et lui passe commande. L’instrument est achevé en mars 1899. En attendant la fin des travaux, le facteur français suggère de présenter son orgue à l’exposition universelle de 1900, à Paris. Le Conservatoire accepte, à une condition : que l’instrument soit présenté dans la section russe, et non française, de l’exposition. « Et oui, c’était déjà notre orgue ! », plaisante Natalia Malina, avec une note de fierté dans la voix. L’instrument et la grande salle sont finalement inaugurés ensemble, en avril 1901, par un concert de Charles-Marie Widor
L’orgue Cavaillé-Coll de Moscou. Crédits : Elodie-Louise testa
Le Cavaillé-Coll de Moscou a traversé toute l’histoire mouvementée du XXe siècle sans heurt, les restaurations successives préservant toujours ses caractéristiques originelles. Après la rénovation de la grande salle entamée en 1990, le conservatoire Tchaïkovski a fait appel à l’entreprise autrichienne Rieger et au facteur d’orgue français Denis Lacorre pour prendre soin de l’instrument.
« Notre orgue se sent aujourd’hui comme après une lourde opération ! Il lui faut un peu de rééducation, mais cela ne l’empêchera pas d’exceller le soir du concert », conclut Natalia Malina.
Ainsi, la venue de Michel Bouvard à Moscou ravive symboliquement l’histoire de cet orgue unique, qui se trouve être le témoin d’une coopération musicale ancienne et étroite entre la France et la Russie.
Jusqu’à présent, de nombreux compositeurs, organistes et chefs d’orchestre français viennent se produire ou enseigner au conservatoire Tchaïkovski, qui accueille également de nombreux étudiants français. « Dans ce domaine au moins, le lien entre nos deux pays est interrompu ! », conclut Natalia Malina.
Le Marathon de l’Orgue
À l’occasion de ses 150 ans et de la fin des travaux de restauration de son orgue Cavaillé-Coll, le conservatoire Tchaïkovski de Moscou organise un « Marathon de l’Orgue », constitué d’une série de concerts d’organistes russes et français, qui se produiront, tout au long de l’année 2017, sur l’instrument historique.
Le Marathon de l’orgue a été inauguré le 15 janvier 2017 par l’organiste français Michel Bouvard, en présence du ministre russe de la culture, Vladimir Medinski. Le concert, qui a duré plus de deux heures, a été salué par un tonnerre d’applaudissements.
Pour plus de renseignements, rendez-vous ici.
Article paru le 20 janvier 2017 dans LE COURRIER DE RUSSIE
http://www.lecourrierderussie.com/culture/2017/01/orgue-cavaille-coll-conservatoire-moscou/