La Russie sait-elle faire du bon «champagne» ?

Le tsar Pierre le Grand aurait été le premier à s’inspirer du savoir-faire des producteurs français de champagne pour l’appliquer aux vins de Crimée.

C’est ce que l’agence gouvernementale russe chargée du contrôle de la qualité des produits, Roskatchestvo, a évalué dans une enquête, publiée mercredi 7 décembre

« Le champagne est devenu populaire après la victoire contre Napoléon », indique ce graffiti situé sur les murs des caves du « champagne » Abrau-Durso, dans la région de Krasnodar. Crédits : Samovar travel/Flickr

Si la qualité du champagne d’appellation contrôlée produit dans les caves de l’Hexagone n’est plus à prouver, qu’en est-il de celle du champanskoïe russe ? À l’approche des fêtes de fin d’année, où le caviar rouge, les mandarines, la salade Olivier et le vin mousseux seront à l’honneur sur les tables russes, l’agence fédérale Roskatchestvo a enquêté sur la boisson festive préférée des Russes.

Gare aux faux !

Rayon « champagnes » dans un supermarché en Russie. Crédits : Wikimedia

L’enquête – purement qualitative et non gustative – porte sur un échantillon de 56 vins pétillants, sélectionnés parmi les marques les plus populaires sur le marché russe (50 sont d’origine russe, six sont étrangères). L’évaluation prend en compte 30 critères de qualité et de sécurité, fixés par la loi russe et par Roskatchestvo. Au nombre des principaux : les propriétés organoleptiques du produit (goût et couleur), la concentration en dioxyde de carbone dans la bouteille et l’indicateur du rapport isotopique du carbone, qui permet de déceler le recours à une méthode de gazage artificiel.

L’enquête révèle ainsi qu’un tiers des vins mousseux vendus en Russie sont en réalité de simples « boissons gazeuses liquoreuses ». Et sur les 56 échantillons étudiés, les experts de l’agence déconseillent douze marques de champanskoïe pour leur faible teneur en moût de raisin et les informations mensongères présentes sur leurs étiquettes : il s’agit de la marque italienne Sandiliano Dessert Grande Cuvée et des marques russes  Venetsianskaïa maska, Krimskoïe, Rossiïskoïe Champanskoïe, Sovetskoïe Champanskoïe, Stavropolskoïe, Tsimplianskoïe, Oreanda, Madame Pompadour, Zolotaïa Balka,  Rostovskoïe Zolotoïe et Salut.

L’agence a déjà transmis ces informations au Service fédéral de contrôle de l’alcool présent sur le marché russe, Rosalkogolregulirovanie.

Le « champanskoïe » victime d’une mauvaise presse ?

Bouteilles de champagne russe vides près du monument à Pierre le Grand, à Saint-Pétersbourg, où tous les mariés se prennent en photo. Crédits : cdoody/Flickr

Dans le même temps, l’étude dément une vieille idée reçue russe, selon laquelle le champanskoïe, parce qu’il est bon marché, est nécessairement mauvais. Ainsi, sur les 56 marques testées, 29 (dont 26 de production russe) sont classées dans la catégorie des « produits de grande qualité ». On y retrouve notamment les légendaires Abrau-Durso, Novyi Svet et Moskovskoïe élitnoïe, qui se vendent entre 4 et 14 euros la bouteille. Roskatchestvo recommande également les champanskoïe Bourgeois, Marleson, Compliment et Lev Golytsine, produits à Saint-Pétersbourg, Gelendjik et Chateau Taman, de la région de Krasnodar, Derbentskoïe, fabriqué à Derbent, au Daghestan, et Izioumov et Delasy, produits dans la ville d’Azov. L’étude distingue aussi la marque de champagne Duc de Paris, fabriqué en France.

Si Roskatchestvo tenait en premier lieu à informer les Russes sur la qualité du breuvage avec lequel ils s’apprêtent à célébrer le Nouvel an, l’enquête visait aussi, sur fond de politique étatique de substitution aux importations, à redorer le blason du champanskoïe et encourager les consommateurs à opter pour des vins mousseux de production nationale.

« Il ne faut pas avoir peur ou honte de garnir sa table de fête avec notre champagne », souligne le rapport d’enquête, avant de conclure sur ce conseil élémentaire du célèbre dégustateur et critique de vin russe Denis Roudenko : « Efforcez-vous d’acheter vos vins là où ils sont produits : il y a plus de chance que la boisson soit directement issue de la viticulture de sa région, moins trafiquée et de meilleure qualité ! »

Le vin pétillant aux Russes et le champagne aux Français ?

Des femmes boivent du champagne sur les bords de la Néva, à Saint-Pétersbourg. Crédits : Flickr

À propos de « région », le champanskoïe, il faut le dire, n’est pas vraiment du goût des viticulteurs français, qui ont entamé, dès les années 1980, des négociations avec la Russie pour que cette appellation soit retirée des étiquettes.

Les viticulteurs et vignerons français luttent dans le monde entier depuis les années 1930, notamment par le biais de la loi française du 26 mars 1930, qui punit les fausses indications de provenance, pour que seul le vin pétillant produit dans la région de Champagne puisse en porter le nom. Une revendication que plusieurs pays – tels les États-Unis, la Russie, l’Ukraine, l’Argentine ou le Brésil –, qui utilisent largement et traditionnellement le terme pour qualifier leurs vins mousseux, ont du mal à accepter.

« Nous utilisons les termes champagne et cognac depuis plus d’un siècle – soit bien avant que la France ne ponde sa réglementation sur les appellations d’origine contrôlée… Si tout cela avait le moindre fondement légal, ils nous l’auraient interdit depuis longtemps ! », avait souligné le vice-président de l’Union des viticulteurs et vignerons russes, Leonid Popovitch, suite à la visite d’Emmanuel Macron à Moscou, en janvier 2016, à l’occasion de laquelle l’ancien ministre français de l’économie avait remis le sujet sur la table.

Le saviez-vous ?

Le Sovetskoïe Champanskoïe (« Champagne soviétique ») est une marque de vin mousseux produit en URSS, puis en Russie, depuis le début du XXe siècle, généralement à partir d’un mélange de cépages Aligoté et Chardonnay.

Le tsar Pierre le Grand aurait été le premier à s’inspirer du savoir-faire des producteurs français de champagne pour l’appliquer aux vins de Crimée.

C’est cependant le prince Golitsyne, aristocrate russe, qui aurait lancé la production des premières bouteilles de vin pétillant russe à Abrau-Durso, près de la ville de Krasnodar. Ce champagne a alors connu un tel succès qu’il a même été présenté lors de l’Exposition universelle de 1900, à Paris.

Article paru le 13 décembre 2016 dans LE COURRIER DE RUSSIE

http://www.lecourrierderussie.com/economie/2016/12/champagne-russe-bon/

 

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