Actualités littéraires

François Boucher interviewé

 Nous avons rencontré l’auteur à l’occasion de la parution de son dernier livre :De ma jungle, affecTUEUSEment .

François Boucher, vous êtes parisien, né dans le 14ème arrondissement il y a 53 ans.Après des études à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et au Collège d’Europe à Bruges, vous commencez  votre carrière comme assistant auprès d’un député européen.Lassé de l’Europe, vous partez en Chine en 1994. Quelques cours de chinois, vous vous y plaisez et décidez de rester. Vous devenez journaliste,correspondant pour l’Asie de plusieurs magazines professionnels français dans les secteurs des transports, de la logistique, des assurances, du droit et du vin.Puis vous vous lancez dans l’écriture de romans. Vous en avez publié 8 à ce jour,chez Kailash, la Vie du rail,  et Blue Lettuce Publishing  qui est votre propre maison d’édition.

 

L’histoire chinoise et les relations sino-françaises, est un thème omniprésent dans vos  romans ?

François Boucher. J’habite en Chine et suis français. Il est naturel que ce thème m’inspire. Dans mes bouquins, il y a effectivement toujours des Français à qui il arrive des bricoles en Chine – les bricoles pouvant aller jusqu’au fait d’être assassiné – et le lecteur découvre que les causes de leurs déboires ont généralement pour arrière-plan historique tel ou tel épisode des relations sino-françaises : la concession française de Canton ici, le Chemin de fer du Yunnan là, l’ancienne colonie de Fort-Bayard dans mon dernier roman.

 

Vous semblez aussi être très connaisseur de l’histoire coloniale des chemins de fer français ?

F. B.J’ai longtemps collaboré à la Vie du rail, magazine qui me commandait beaucoup de reportages sur les chemins de fer autrefois bâtis et exploités par la France dans la région, tel le chemin de fer du Yunnan que je viens de citer, mais aussi le chemin de fer de Khône au Laos, les réseaux ferrés cambodgien et vietnamien, etc. Je mets volontiers des trains dans mes livres. Un train, c’est à la fois un décor, une atmosphère, un lieu clos mais mouvant propice à l’aventure, et un personnage en soi, bref, un ingrédient romanesque formidable !                                                   

                                                                                                                                                                                                                                               

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de votre dernier livre : De ma jungle, affecTUEUSEment ?  

F. B.Tout d’abord la découverte de l’ancienne colonie française de Kouang Tchéou Wan, qui avait pour capitale Fort-Bayard, dans le sud du Guangdong. Je me suis vite aperçu que des deux côtés, français et chinois, elle avait été oubliée. Personne ne savait plus que ce territoire avait été occupé par la France entre 1898 et 1945. Cela m’a intrigué. Je me suis rendu sur place, ai découvert les vestiges de la présence française : différents bâtiments coloniaux et une église, où je me suis rendu. J’ai demandé au curé s’il restait des gens ayant vécu du temps des Français. Il m’a présenté quelqu’un : Paul, Li He de son nom chinois, qui a aujourd’hui 84 ans. Paul a été à l’école française sur place, il parle encore parfaitement notre langue, et connaît admirablement l’histoire de Fort-Bayard. Il a été mon guide. Je crois que c’est lui qui a déclenché mon envie d’écrire un roman qui aurait cette colonie perdue pour cadre. J’ai complété mes informations en France, aux archives de l’Outre mer, à Aix-en-Provence. Ainsi est né De ma jungle affecTUEUSEment

 


Images intégrées 2

François Boucher et Paul Li He Fort Bayard 2012


 

Résumé du livre : De ma jungle affecTUEUSEment

 

 

Paris, 1958. Qui a bien pu écrire de Hong kong à monsieur Sergent, tranquille et distingué habitant de la rue François Ponsart, dans le 16e arrondissement ? se demande sa concierge.

Oui mais…La curiosité est un vilain défaut. Du sang ne va pas tarder à salir le joli marbre des intérieurs de Passy. Car on ne remue pas impunément le passé équivoque de l’ancienne colonie française de Fort –Bayard, égarée tout au sud de la Chine.

Détective contre son gré, Léonie va tenter de percer le secret qui relie monsieur Sergent à ce monde perdu, d’où surgissent d’inquiétants fantômes : les cheminots Bouillon et Vallée, l’aventurier  Claret-LLobet, le garnement Wawa, la troublante Pah …

Le tout en évitant les bâtons que lui mettent dans les roues l’inspecteur Fleurus et d’autres importuns qui s’invitent  à l’enquête.

 

 











Un extrait choisi par vos soins ? 

F. B. La première phrase du livre : « Un courant d’air acidulé s’engouffra dans le hall et lui caressa le visage. Fugacité douce et légère des matins de septembre. Léonie abandonna son seau et sa serpillère, ferma les yeux et goûta la saveur de l’instant. »

 

Léonie, personnage De ma jungle, affecTUEUSEment est concierge. Vous semblez bien connaître ce métier !

F. B.J’ai effectivement été concierge dans ma jeunesse, un job d’été lorsque j’étais étudiant. Le comble, c’est que j’ai exercé sur le lieu même de mon roman : au 11, rue François Ponsart, dans le 16e arrondissement de Paris. On peut presque dire que Léonie, c’est moi.

 

Sans dévoiler l’intrigue de votre roman, pouvez-vous nous dresser le portrait  de cette héroïne ?

F. B.Venant de dire « Léonie c’est moi », je suis un peu gêné de répondre. Si je vous dis qu’elle a toutes les qualités, vous penserez que j’ai la tête qui enfle. Oubliez donc mon propos liminaire. Considérez que Léonie est une femme à la vie simple et sans surprise qui se trouve soudain propulsée dans une autre dimension, par un évènement de nature criminelle dont elle est le témoin. Elle est persuadée que le drame auquel elle est confrontée et les personnages qu’elle rencontre ont une profondeur, une originalité, un exotisme qui la dépassent. Mais se faisant enquêtrice, elle va aussi en découvrir la banalité, sinon la petitesse. Du fond de la loge, elle est aussi grande, peut-être même plus grande, qu’eux.

 

Vous me dites travailler sans plan, souhaitez-vous  rester libre quant au devenir de vos personnages ?

F. B.C’est presque le contraire ! Ce sont plutôt les personnages qui doivent rester libres vis-à-vis de moi. On dit souvent qu’ils finissent par échapper à leurs créateurs. Avant d’écrire des romans, je tenais cette assertion pour une fadaise, mais elle est absolument vraie. Ce sont eux qui au final écrivent l’histoire. Sans vouloir trop en dire, dans De ma jungle affecTUEUSEment, c’est mon héroïne, Léonie, qui devait mourir, dès la page 10 ou 12. Mais non, elle s’est révoltée, m’a montrée combien elle était intéressante et sympathique – bien que sans doute pas commode à vivre – et elle est devenue ma détective. Faire un plan, du moins un plan trop précis, c’est risquer d’empêcher ce genre de revirement, et aussi de s’ennuyer, d’avoir l’impression de remplir les cases d’un formulaire.

 

Vous rédigez des articles pour la presse professionnelle française. Que vous apporte ce  travail, appliqué à l’écriture de vos romans ?

F. B.Écrire pour la presse oblige à s’en tenir à un volume de texte fixé par avance, généralement court. On dispose d’un espace limité pour s’exprimer. La concision et la chasse aux redondances sont donc les maîtres-mots.En somme, on écrit de façon « efficace ». Je crois, j’espère, que cela transparaît dans mes livres, sans aller jusqu’à l’excès, qui conduirait à une trop grande sécheresse ou à un manque d’épaisseur.


Depuis la parution en 2000 de votre roman policier le Cheval Céleste, avez-vous ressenti une modification dans votre façon d’écrire ?

F. B.Je suis bien plus libre qu’avant. Au début, je me demandais toujours, concernant mes personnages chinois, si les mots que je mettais dans leur bouche, les actes que je leur faisais effectuer, correspondaient bien à la façon de parler et d’agir de Chinois confrontés aux situations dans lesquelles je les plongeais. Mon commissaire Wang, en particulier. Mais je ne suis ni policier ni chinois ! C’était une quête impossible, dont Simenon par exemple s’était très vite affranchi : il n’était ni policier ni français et pourtant il a créé Maigret, le plus français des policiers, sans se poser de questions existentielles ! Aujourd’hui mes personnages et leurs faits et gestes me viennent à l’esprit quasi spontanément. Je ne les construis pas, à la façon d’un mécano, avec un bout de ci pour le caractère, un bout de ça pour le physique… Il faut qu’ils m’arrivent entiers dans l’intrigue, sinon je ne les retiens pas. Cela ne veut pas dire que je les présente « complets », prêts à être consommés » : je ne décris généralement que très sommairement, voire pas du tout, le physique ou même le caractère de mes personnages principaux, alors que je peux passer une demi-page à cerner un second couteau. Les héros n’en ont pas besoin : ils ont leurs actes, leurs paroles, fussent-ils futiles, pour se faire connaître au fur et à mesure de l’histoire. C’est un dévoilement progressif. En outre, si l’on souhaite que le lecteur s’identifie à tel ou tel, mieux vaut ne pas lui imposer des images figées.

 

Vers quels auteurs vont vos préférences littéraires ?
F. B.Marcel Proust. On lui reproche souvent ses longues phrases mais je n’en ai jamais trouvé une de lui qui ne fût pas limpide, ce qui compte quand même un peu plus que le nombre de mots qui la composent. Les livres de Proust réussissent par ailleurs la prouesse de vous parler des peines de l’amour sans vous filer le cafard, de la vanité de la vie et de la fuite du temps sans vous donner l’envie de vous pendre. Ils sont d’un pessimisme revigorant ! Enfin, Proust est souvent très drôle. Ses dialogues dans les soirées mondaines chez les Guermantes ou chez les Verdurin sont impayables.

Simenon. Surtout pour les livres sans Maigret, comme Les fiançailles de Mr Hire, Les gens d’en face ou La veuve Couderc, qui sont d’une densité exceptionnelle, affutés comme des lames de rasoir. Il n’y a pas un mot à rajouter, pas un à retrancher.

Des poètes comme Mallarmé ou Francis Ponge (le Parti pris des choses). Ils cherchent à dire l’indicible, et y arrivent ou en tout cas semblent très proches du but. Quand Mallarmé écrit : « Sens-tu le paradis farouche, ainsi qu’un rire enseveli, se couler du coin de ta bouche, au fond de l’unanime pli ? » on pressent bien que d’une façon ou d’une autre, il est passé de l’autre côté du miroir.

Xiao Luo, votre épouse, partage votre vie depuis 1995, nous profitons de sa présence à cet entretien pour l’interroger.
Vivre avec  un écrivain, est-ce facile ? 

X.L. Un écrivain a une vie parallèle, il a besoin d’une histoire en cours »
François, un commentaire ?
(sourire…) Mon épouse parle bien sûr au figuré.

Quelle question aimeriez-vous que l’on vous pose ?

F.B. «Qu’est-ce qui fait qu’un livre est réussi ? Il y faut une part de rêve et de poésie, qui réside surtout dans ce qui n’est pas écrit, dans ce que l’on omet, délibérément ou pas, de raconter – j’en parlais pour les personnages – Les silences et les non-dits sont tout aussi importants que ce qui est écrit. Ce sont eux qui font travailler l’imagination du lecteur, qui mettent en branle sa créativité. J’essaie de ne jamais « sur écrire », de ne jamais saturer l’intrigue d’informations et de détails. Mieux vaut être flou, voire incohérent, que tatillon et procédurier.

 

Propos recueillis par France Mayoral

 

 

Bibliographie :

Du même auteur

(Sous le pseudonyme de FAN TONG)

 

Aux éditions Blue Lettuce Publishing

Voguant vers l’avenir lumineux, 2011 (version anglaise : Out of Time in Wan Chai, 2012)

 

Aux éditions Kailash

Le cheval céleste, 2000 (version chinoise chez Haitian chubanshi, Shenzhen, en 2003)

Le livre des fermentations, 2001

Les Chinoises au bain, 2002

Immortels et paniers de crabes, 2003

Petit marché, double bonheur, 2004

Vendu soit le seigneur du ciel ! 2010

 

Aux éditions de la Vie du rail

Ma Chine arrière, 2005

 

Où vous procurer  les livres en français de François Boucher ?

 

  1. Parenthèses, 14, Wellington rd, 2/F, Central, HK
  2. L’arbre du voyageur Shanghai, Chang Ning district, 155 Wuyi lu, Shanghai
  3. L’arbre du voyageur Pékin, Chao Yang district, 18, Gongti Xi lu, Pékin
  4. Le Pigeonnier, No. 9, Lane 97, Sung Chiang Road, Taipei
  5. Carnets d’Asie Bangkok, 29 Sathorn Tai Road, Bangkok
  6. Carnets d’Asie Phnom Penh, 218, rue 184, Phnom Penh
  7. Nam Phong, 94 Ho Tung Mau, District 1, Hochiminh ville
  8. Kinokuniya Singapour, 391 Orchard Road, #03-09/10/15 Ngee Ann City
  9. Librairie Omeisha, 2-3-4 Fujimi Chiyoda-ku, Tokyo

 

EBOOKS

Voguant vers l’avenir lumineux et Out of time in Wan Chai (sa traduction anglaise) sont disponibles en ebooks sur : Amazon (Kindle store), Itunes (Ibook store), Samsung Readers hub, Orange read and go, etc.

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