Le vent tourne sur Moscou. Le ciel se dégage et le soleil pointe enfin le bout de son nez. La tension baisse peu à peu. La pression se relâche. Non, le Russia bashing n’est pas encore passé de mode, mais de plus en plus de gens sur la planète se demandent si c’est bien la Russie qui menace l’équilibre du monde, et si son niveau de nuisance peut réellement être comparé à celui de l’État islamique, comme le suggérait il y a peu de temps Barack Obama.
Lever de soleil sur Moscou. Crédits : Anastasia Kosmacheva/ flickr
C’est notamment le cas des Moldaves et des Bulgares, qui, le 13 novembre dernier, ont élu des chefs d’État prônant un rapprochement avec le grand voisin oriental. Sans renier leur attachement aux valeurs européennes, Igor Dodon et Roumen Radev affirment vouloir mener une politique équilibrée, dans l’intérêt de leurs peuples. En d’autres termes, ne pas refuser toute coopération avec la Russie sous prétexte que c’est la Russie. Ne pas repousser leur grand voisin simplement parce que certains le présentent comme une source de danger et de désordre. Ne pas tomber dans une russophobie vulgaire, mais regarder la réalité en face. Admettre que, malgré la vaste campagne de dénigrement qui a lieu depuis des années dans les médias, la Russie garde son attrait pour un très grand nombre. Dans le brouillard médiatique, les gens discernent un pays qui n’est certes pas une démocratie idéale, mais qui n’a rien non plus du monstre totalitaire sous les traits duquel on le dessine.
Certes, la Russie a encore de nombreux défis à relever. Elle doit notamment combattre la pauvreté et la corruption, créer un système de santé plus accessible, performant et égalitaire, relever le niveau de sa science, juguler la violence qui sévit dans ses prisons, améliorer son climat d’affaires et permettre au plus grand nombre de Russes de créer leur entreprise… Bref, la Russie d’aujourd’hui est loin d’être un pays parfait. Mais elle n’est pas non plus un immense Goulag gouverné par un fou furieux assoiffé de conquête.
La Russie, c’est un pays qui se cherche, se reconstruit, réfléchit à des pistes. Elle n’accepte pas les recettes toutes faites. Refuse de suivre les itinéraires que ses voisins de l’Ouest lui désignent – ce qui en agace plus d’un. La Russie énerve car elle pense par elle-même. Elle ne s’empresse pas de jeter ses vieux bijoux de famille, sous prétexte qu’ils sont démodés – elle préfère les ranger soigneusement dans ses boîtes laquées ou, pire encore, ose les arborer sous les yeux d’une assistance scandalisée. La Russie n’est pas prête à renoncer à l’idée de souveraineté ni à celle de patrie, par exemple, tout simplement parce que certains, à l’Ouest, considèrent ces notions surannées. Les renoncements que l’Europe expérimente en ce moment, la Russie a eu le temps de les tester en 70 ans de socialisme. Et de s’en lasser. Renoncer à la religion ? Renier tout attachement à ses origines ? Dire que tout se vaut, que peu importe d’où l’on vient et dans quelle langue on parle ? Réduire la culture à ses simples expressions vestimentaires et culinaires, lui retirer ses dents pour n’en garder que la peau ? Tout cela, les Russes l’ont fait. Ils ont ouvert les sépultures de leurs saints pour se prouver qu’ils pourrissent, comme tous les êtres humains. Ils ont brisé leurs autels, renoncé à leur héritage d’avant 1917, réécrit l’histoire ; ils se sont interdit d’être russes pour devenir soviétiques, ont relégué aux oubliettes leur culture millénaire pour la remplacer par un ersatz folklorique. Ils l’ont fait. Mais maintenant, ils cherchent autre chose.
Sur sa voie historique, à un moment, la Russie est partie très à gauche ; maintenant, elle va à droite. Elle tente différentes possibilités et cherche le juste équilibre. Ce qui est certain, en tout cas, c’est qu’elle n’est pas convaincue de détenir la vérité suprême et ne cherche en rien à imposer sa voie à toute la planète. La Russie est prête à admettre la pluralité des possibles. Aujourd’hui, tant bien que mal, elle parvient à faire vivre en paix, sur ses vastes terres, des peuples aux religions et aux mémoires les plus diverses – et si elle devait proposer un modèle au monde, ce serait certainement celui-ci.
Article paru le 24 novembre 2016 dans Le Courrier de Russie