Cela fait plus d’un mois déjà que le Japon traverse une crise humanitaire sans précédent, suite à la terrible catastrophe naturelle qui a frappé le pays le 11 mars dernier.
Face au courage et à l’héroïsme de tout un peuple, les Français du Japon se montrent solidaires et respectueux.
La caravane des Français, par Patrick HOCHSTER, Président de l’UFE Japon
Témoignage de Frédéric Madelaine, vice-président de l’UFE Japon et chef pâtissier
La caravane des Français
Au tremblement de terre et au tsunami, succèdent de nombreuses répliques sismiques et la menace nucléaire de la centrale de Fukushima est désormais considérée comme “majeure” par les autorités japonaises. Face à ce drame, le peuple japonais fait preuve d’une solidarité exemplaire et d’une exceptionnelle dignité, nous faisant presque oublier que même si le Japon est un pays riche, la dimension de cette catastrophe est trop grande pour qu’il puisse la maîtriser seul, et qu’il faudra du temps et l’aide de la communauté internationale pour aider la région du Tohoku (Nord-est de l’ile de Honshu, principale ile de l’Archipel) à se reconstruire.
Il y a actuellement des centaines de milliers de familles japonaises sans abri (majoritairement agriculteurs, pécheurs ou artisans) installées dans la précarité et l’insécurité due à la proximité de la centrale nucléaire de Fukushima, et qui essaient, envers et contre tout, de reconstruire une vie normale, après avoir tout perdu. Les témoignages de ceux qui se sont rendus dans la région sinistrée (journalistes, volontaires…) sont unanimes et rejoignent celui de M. Philippe Faure, Ambassadeur de France au Japon, lors de sa visite a Sendai le 26 mars, cité de la préfecture de Miyagi, la plus meurtrie.
« Une chose est de voir les images à la télévision, une autre est d’être sur place pour se rendre compte à quel point la région est sinistrée ».
Les déplacés survivent depuis plus d’un mois dans le dénuement le plus total faisant toujours preuve d’une grande dignité et de beaucoup de courage.
A Tokyo et dans le reste de la région, les sakuras (cerisiers) fleurissent, la rentrée scolaire et universitaire est en cours (le lycée Franco-Japonais de Tokyo a réouvert le 4 avril) et les familles s’efforcent de reprendre une vie normale malgré la fatigue nerveuse liée aux répliques journalières, l’inquiétude face au risque de contamination radioactive et le manque de visibilité quant à la situation de la centrale de Fukushima.
La capitale a perdu ses couleurs la nuit, les néons et enseignes lumineuses étant éteints afin d’économiser l’électricité, mais dans le quartier de Shibuya, connu pour sa vie nocturne, la foule arpente de nouveau les rues et les restaurants retrouvent leurs clients.
A l’initiative de l’UFE Japon, en association avec l’Amicale des Cuisiniers et Pâtissiers Français du Japon et l’AFJ, nous avons organisé la « Caravane des Français » pendant 7 jours consécutifs afin de venir en aide à la population déplacée à Kôriyama, ville située a 60 km de la centrale de Fukushima. Du 3 au 9 avril, plus de 14 chefs cuisiniers français dont 7 étoilés, accompagnés d’équipes de volontaires se sont relayés afin de préparer et servir plus de 3 000 repas chauds et offrir des jouets et du matériel scolaire aux enfants.
Je m’y suis rendu personnellement 6 jours sur 7, et chaque soir, lorsque nous arrivions dans les gymnases ou les salles des fêtes qui n’étaient pas chauffés, il fallait voir toutes ces personnes regroupées en famille (souvent sur 3 générations) assises ou allongées sur des cartons aplatis à même le sol, avec pas plus de 2m2 d’espace chacune, évidemment sans aucune vie privée et surtout le regard vide, avec comme seul divertissement une télévision pour 2 à 300 personnes.
Une fois les repas servis, et le ventre plein, tout changeait … Tout d’abord les enfants s’approchaient de nous pour jouer et prendre des photos ensemble, puis c’était le tour des parents qui venaient nous parler et surtout nous remercier avec le sourire pour ces délicieux repas (la majorité d’entre eux n’avait jamais gouté à la cuisine française, encore moins préparée par des grands chefs). Ils m’ont souvent demandé : « n’avez-vous pas peur de venir aussi près de la centrale alors que les Américains ont demandé à leurs ressortissants de s’en éloigner d’au moins 80 km ? » Je leur répondais que le niveau de radioactivité à Kôriyama n’était guère plus important qu’à Tokyo et que nous étions tous très heureux de pouvoir leur apporter un petit moment de bonheur …
Notre initiative a suscité la curiosité de beaucoup de médias qui ont largement couvert notre action à travers la presse française et japonaise. L’UFE Japon souhaite plus que jamais poursuivre cette action unie et solidaire et cette fois-ci avec le concours des chef japonais de la gastronomie française afin d’aider les populations sinistrées et déplacées. Nous avons donc décidé de continuer à organiser la « Caravane des Français » une fois par mois pendant les 12 prochains mois.
En parallèle, l’UFE Japon a fait appel à la générosité de l’ensemble des UFE dans le monde afin de collecter des fonds destinés à poursuivre notre caravane française mais aussi à participer à l’effort de reconstruction avec la réalisation d’un projet précis non encore identifié. (cf. lettre du Président de l’UFE Japon sur http://ufe-japon.org/).
Face au courage et à l’héroïsme de tout un peuple, les Français du Japon se montrent solidaires et respectueux.
Patrick Hochster, Président de l’UFE Japon
Frédéric Madelaine, vice-président de l’UFE Japon et chef pâtissier, témoigne :
« Départ de “La Caravane Française” le dimanche 3 avril direction Koriyama. Les volontaires pour cette 1ere journée n’ont qu’une inquiétude, le niveau de radioactivité sur place. Nous allons donc appliquer les principes de précautions recommandés par l’Ambassade de France et l’IRSN. Arrivés à Koriyama, nous constatons que cette inquiétude était bien exagérée au vu des mesures que nos compteurs Geiger nous indiquent. Rassurés, nous allons mettre toute notre énergie et opiniâtreté à apporter chaleur et réconfort à toutes ces personnes déplacées qui n’ont parfois pu sauver que leurs seuls vêtements.
Nos vies sont ici, et l’élan de solidarité et la mobilisation dont ont fait preuve les participants, en toute humilité, afin de venir en aide à ces refugiés qui ont tout perdu, doivent servir d’exemple. Beaucoup d’autres chefs ou volontaires nous ont soutenu dans cette initiative, nous ne pouvons rester inactifs, assis devant un PC à attendre que ca se passe …
La cuisine, française, que nous avons servie chaque jour était inconnue de toutes ces personnes aux revenus modestes, pour la plupart agriculteurs, pécheurs, ouvriers… les ressources de cette région du Japon, le Tohoku, viennent principalement de la terre et de la mer. La plupart découvraient pour la première fois potée, fricassée de volaille, ragout de bœuf et autres, préparés par des chefs de grande renommée, et nous ont témoigné par un simple regard le bonheur qu’ils ressentaient.
Autre moment fort, les enfants, à qui nous avions apporté des jouets, des crayons de couleurs, des cahiers, mais aussi des cartables (la rentrée scolaire au Japon a eu lieu le 11 avril). Les femmes qui nous ont accompagnés ont été formidables, elles ont joué, discuté avec les enfants, les ont fait rire.
C’était un véritable déchirement de les laisser chaque soir pour repartir à Tokyo.
J’ai été très touché par la dignité de toutes les personnes que nous avons rencontrées, par leur gentillesse, de nature les Japonais ne sont pas des gens qui se plaignent, et ce même dans une situation aussi tragique.
Notre mission a été d’apporter du bonheur et de la chaleur humaine au travers de ce que nous savons faire, nous les chefs, et ce en toute simplicité.
D’autres projets sont en cours, car cette mobilisation doit se poursuivre sur le moyen et le long terme. Pour ces personnes déplacées, ce n’est que le début d’un période longue et douloureuse et nous ne pouvons pas les laisser tomber dans l’oubli. »
Tokyo, 11 mars 2011
Le tremblement de terre a eu lieu le vendredi 11 mars vers 14h45, à une heure de grande activité. Nous étions souvent sur notre lieu de travail, ce qui a donc marqué les esprits des Français. Beaucoup de ceux qui résident au Japon depuis plusieurs années ont déjà vécu de nombreux tremblements de terre, mais sur Tokyo, rares sont les séismes de cette force (degré 5+). Les bâtiments ont bien résisté dans la capitale, il y a eu quelques dégâts matériels, mais assez limités. Au moment d’un séisme on allume en général la télévision ou la radio car ces médias donnent immédiatement l’information sur le lieu et le degré du tremblement de terre. Cette fois, c’est à un cauchemar que nous avons assisté, lorsque nous nous sommes rendu compte de l’ampleur des dégâts dans le Tohoku (nord-est du Japon) et surtout lorsque nous avons vécu en direct l’arrivée de cette vague monstrueuse qui avançait inexorablement vers l’intérieur des terres, dévastant tout sur son passage.
Les premières conséquences sur Tokyo ont été l’arrêt du métro et des trains, ce qui a perturbé le retour de très nombreuses personnes, avec l’angoisse de ne pouvoir joindre nos proches en raison d’une coupure des réseaux de téléphonie mobile. Par contre le téléphone fixe et le réseau internet fonctionnaient très bien, ce qui a été une chance pour la communication. Les écoles et équipes enseignantes ont parfaitement réagi et les procédures de sécurité répétées maintes fois avec les enfants se sont avérées efficaces.
Le week-end nous a donné à voir de nouvelles images terribles de la dévastation, due principalement au tsunami. Des centaines de milliers de personnes commençaient alors un séjour en centre de refuge, tandis que l’on dénombrait petit à petit les morts.
A peine s’était-on remis de cette expérience traumatisante que les nouvelles sur le front des centrales se sont révélées plutôt inquiétantes, en même temps que l’annonce d’une possibilité de réplique très forte dans les jours à venir.
La semaine suivante a été marquée d’une part par les problèmes grandissants dans les réacteurs et piscines de combustible usé de la centrale nucléaire de Fukushima, qui ont fait monter la tension. D’autre part, des difficultés logistiques ont rendu la vie beaucoup plus difficile aux Tokyoïtes. En effet, le manque d’électricité du à l’arrêt de Fukushima rejaillissait sur la vie quotidienne : les métros et trains ne pouvaient plus fonctionner normalement, les denrées non périssables avaient disparu des rayons des supermarchés , ainsi que les piles et les masques, des coupures d’électricités planifiées étaient annoncées sur plusieurs arrondissements de Tokyo.
Ce contexte a donc renforcé l’inquiétude des familles françaises. Dès le dimanche, certaines sociétés françaises ainsi qu’un grand nombre de familles, notamment avec des enfants en bas âge, ont décidé de s’éloigner de Tokyo en se rendant dans le Kansai (ouest du Japon), en Asie ou en rentrant en France. Ceux qui restaient cherchaient une information fiable sur la situation afin de prendre les mesures de précaution qui s’imposaient.
C’est ainsi qu’est née l’idée de faire circuler un Bulletin d’information à l’ensemble de la communauté française. Ayant l’habitude d’informer les Français de ma circonscription (Asie du Nord) sur la manière dont j’exerce mon mandat d’élu à l’Assemblée des Français de l’Etranger, j’ai voulu favoriser du mieux que je pouvais l’accès à une information fiable au plus grand nombre, afin d’éviter la panique et de permettre à chacun de prendre les bonnes décisions en connaissance de cause. L’Ambassade de France m’a accueilli au sein de sa cellule de crise, ce qui m’a permis d’être au cœur de l’information, près de l’Ambassadeur
Philippe Faure et de son équipe : l’attaché militaire, l’expert nucléaire envoyé par l’IRSN, l’attaché de sécurité intérieure, le service de presse et de communication et les autres services. Je voudrais saluer ici leur action car je peux témoigner de leur grande implication personnelle et de leur dévouement. Je les ai vu travailler quasiment 24h/24 , dormant dans leurs bureaux, et sur le pied de guerre sans relâche dès le petit matin. Tous se relayaient à la cellule de crise pour répondre aux appels des Français anxieux. L’organisation de vols proposés par le gouvernement français, les mardi 15 mars, puis les jeudi 17, vendredi 18 et samedi 19 mars, ont permis de faciliter le retour en France de 1 500 compatriotes et leur famille et dans le même temps, une distribution préventive de capsules d’iode par l’ambassade avait commencé. Le maître mot qui a guidé l’action de notre ambassade a été « principe de précaution » pour protéger la population française.
31 mars 2011 – Visite du Président Nicolas Sarkozy
Environ 900 personnes ont assisté à l’allocution du Président de la République le jeudi 31 mars 2011 à la Résidence de France.
Dans son message, le Président soulignera le devoir de la France de protéger tous les Français, au Japon et partout dans le monde. Comme illustration de la solidarité nationale, il annoncera la reconstruction de l’Alliance française de Sendai, le renforcement de l’Institut français de Tokyo et le soutien à la construction du nouveau lycée de Tokyo.
Le Président Sarkozy rencontrera ensuite le Premier Ministre japonais Naoto Kan afin de proposer une aide technique (experts et équipements) pour les réacteurs de Fukushima.
Un peu plus d’un mois après ce jour fatidique du 11 mars, la vie a repris à peu près son cours normal à Tokyo, malgré un certain nombre de séismes toujours perceptibles qui font frémir aux premières secousses. La plupart des sociétés françaises reprenait son activité d’une manière ou d’une autre dès le 14 mars (certaines basées a Osaka, d’autres par le biais du télétravail ) et l’école française a rouvert ses portes le 4 avril.
Il faut maintenant gérer l’après-crise. En effet, la société TEPCO vient d’annoncer son plan pour la centrale de Fukushima : de 6 mois à 9 mois pour le rétablissement d’une situation pérenne et stable sur le site.
Une contamination radioactive ayant eu lieu pendant les premiers jours, nous devons rester sur nos gardes quant à nos achats alimentaires, puisque des alertes du gouvernement japonais ont décelé des traces de radioactivité dans certains légumes, du lait et de l’eau.
Afin de répondre aux interrogations légitimes quant aux répercussions de cette crise dans la vie quotidienne, des conférences d’information sont organisées dans la communauté.
Je pense aux 14 001 victimes, au 13 660 disparus, aux 4 938 blessés, aux centaines de milliers de familles japonaises installées dans la précarité, le froid et l’insécurité due à la proximité de la centrale de Fukushima, qui essaient de reconstruire une vie normale, avec l’aide de nombreux volontaires, dont des initiatives émanant d’associations françaises. L’expérience de Kobe a montré qu’une fois passé l’immense élan de générosité, il est important de maintenir une solidarité sur le long terme. Les associations françaises réfléchissent d’ores et déjà à des actions appropriées et l’UFE en est le fer de lance.
Thierry CONSIGNY
Conseil d’Administration de l’UFE Japon
Elu à l’AFE
Poème d’un Français du Japon, AC, 82 ans
FUKUSHIMA
La terre a tremblé
La mer s’est fâchée
Ce qu’avait commencé la terre
La mer est venue le finir
Ensemble ils ont voulu punir
Les hommes qui avaient créé
Un monstre qui tôt ou tard
Allait les tuer
Il n’y a plus de maison
Il n’y a plus de moisson
L’eau devient poison
Le ciel devient poison
Cela pour une seule raison
Les hommes et leurs inventions
Et peut-être Fukushima
Aurait pu être