Alors que l’immigration est un choix, tant pour les migrants que pour ceux qui les accueillent, l’asile est un droit, inscrit dans notre Constitution, dans nos lois, dans les conventions internationales et le droit européen.
Ce droit ne se divise pas, ne se partage pas, ne se discute pas. Il ne se perd que lorsque les conditions qui l’ont ouvert ont disparu. Nous devons accepter tous les réfugiés qui se présentent à nos frontières et examiner leurs demandes selon leurs mérites au regard du droit d’asile. La question de l’ouverture ou de la fermeture des frontières aux migrants relève d’une autre problématique. Les frontières de la République française doivent être accueillantes à ceux qui fuient les persécutions, et qui combattent pour la liberté, quelque soit par ailleurs la misère du monde.
Pourquoi l’Etat et le peuple français sont-ils aussi réticents à l’accueil des demandeurs d’asile venus de Syrie et d’Irak ? Pourquoi l’Etat de défausse t-il sur les communes au lieu de prendre toutes les responsabilités qu’il tire des lois et des traités ? Pour trois raisons principales qui sont hélas révélatrices de la crise profonde que traverse la France. En surmontant ce défi, puissions-nous surmonter également le mal qui nous étreint.
La première raison de refus du demandeur d’asile vient du fait que la cohésion de la nation française est gravement mise à mal. Si les Français sont un peuple, l’intégration des étrangers ne peut pas être, comme le réclament certains, un processus dynamique à double sens d’acceptation mutuelle de tous les immigrants. Si les Français sont un peuple, ce peuple ne trouve pas son modèle et sa justification dans un raisonnement partagé entre européens. C’est un modèle unique. L’intégration des étrangers à ce peuple ne participe pas d’un raisonnement général applicable de manière universelle. L’intégration des étrangers au peuple français est le résultat d’un effort accompli par les nouveaux venus pour se fondre dans la collectivité qui les reçoit. Autrement dit, le « vivre ensemble », pour reprendre une expression consacrée, ne peut venir d’une injonction adressée aux Français, mais dépend de l’attitude des nouveaux venus. C’est à eux de démontrer aux Français qu’ils sont désireux et capables de vivre avec eux. L’heure est grave en effet, car, comme le dit de façon fulgurante Georges BENSOUSAN (auteur des Territoires perdus de la République – 2002), la nation française est en train de se déliter. Une partie de la population française, née en France souvent de parents nés eux-mêmes en France, a le sentiment de ne plus appartenir à celle-ci. Alors qu’ils sont Français depuis deux générations, certains adolescents, certains adultes aussi, n’hésitent pas à affirmer que la France n’est pas leur pays. Pour la première fois de notre histoire, nous assistons à un phénomène de désintégration, voire de « désassimilation ». La nation française est en cause, son ancrage historique, sa langue, son histoire. Sa capacité d’accueil est compromise.
La deuxième raison est qu’inconsciemment, le peuple français a fait le choix du chômage plutôt que du plein emploi, des loisirs plutôt que du travail, du discours plutôt que des actes, du principe de précaution plutôt que du risque créateur, bref du déclin plutôt que de la grandeur. Ceci rappelle d’ailleurs gravement certaines heures parmi les plus sombres de notre histoire. S’il avait fait un choix différent, cela se saurait. Rien de plus facile en effet, que de retrouver la croissance, l’emploi, la formation, bref la prospérité. Et de se donner les gouvernements qui s’y consacreraient. Il suffirait de faire comme la multitude de pays qui ont fait ces choix. Mais il n’y a pas en France de demande sociale pour un bon gouvernement et un Etat efficace. Les Français en ont mauvaise conscience et s’exaspèrent d’une classe politique qu’ils s’obstinent à maintenir au pouvoir. Ils s’en veulent de bafouer l’honneur, le bon sens et l’intérêt supérieur de leur pays. Ils sont en train de perdre leur niveau de vie et leur identité. Déclassés à l’échelle de la planète, certains se sentent rejoindre les prolétaires d’un Germinal universel. Il y a dix ans, nous refusions le plombier polonais. Aujourd’hui nous ne savons pas comment nous pourrions procurer des emplois et des logements aux réfugiés. Bref, nous voyons notre propre avenir bouché et ne souhaitons pas y associer autrui et alourdir la barque qui sombre. Pour les mêmes raisons qui font que des centaines de milliers de jeunes Français ont quitté la France ces quinze dernières années, qui font aussi que les Français de l’étranger ont les plus grandes difficultés à revenir dans leur pays, les étrangers qualifiés qui fuient leurs pays d’origine n’ont aucun désir de s’établir en France. Que penser de cet appel de la maire de Calais qui demande aux Britanniques d’accueillir les 3 500 migrants qui attendent aux alentours dans des conditions déshonorantes et indignes ? A-t-elle songé que si sa demande était satisfaite, ce sont aussitôt dix mille nouveaux arrivants qui viendraient.
La troisième raison découle des deux premières : l’Etat se montre incapable, depuis des lustres, de faire face aux phénomènes d’immigration qui résultent de la mondialisation, sinon en administrant des leçons de morale à une population française de plus en plus déstabilisée et désarmée. Au nombre de ses multiples échecs, figure l’administration du droit d’asile : délais excessifs dans l’examen des demandes, incapacité ou manque de volonté de refouler ceux qui ont vu leur demande rejetée. Admis ou déboutés, tout le monde reste. Cherchez l’erreur … Pourtant l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) fait un travail admirable, alliant l’humanité, le professionnalisme et le respect de la loi. Mais ses moyens sont ridiculement insuffisants au regard des enjeux. Il est par ailleurs naturel que les citoyens n’aient aucune confiance, après tant de promesses incantatoires non tenues par les plus hautes autorités de notre pays, et tant d’erreurs en matière de politique migratoire. La dernière incohérence entendue récemment à très haut niveau consiste à proposer d’abolir la liberté de circulation dans l’espace Schengen pour les étrangers tandis que les citoyens européens continueraient à passer librement les frontières. On ne dit pas comment la Police aux Frontières (PAF) pourrait arrêter les uns et laisser passer les autres sans contrôler tout le monde ! Dans la même veine, on réclame des accords dits de « réadmission » aux pays d’origine des migrants, en échange de subsides ou d’aide au développement. Comme si les Etats-Unis des années 1850 avaient demandé à la Grande Bretagne la réadmission des Irlandais qui fuyaient la crise de la pomme de terre. Comment les Français ne seraient-ils pas poussés à bout de nerfs par un tel amateurisme.
S’agissant du droit d’asile en France, commençons par appliquer les lois qui ne prévoient aucun quota, mais des conditions claires qui permettent d’accorder le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Accordons ces statuts en moins de trois mois, en mettant un terme aux palinodies qui font le bonheur des avocats et des associations d’agitateurs. En faisant le cas échéant appel à l’armée, installons les demandeurs d’asile dans des centres d’hébergement suffisants et adaptés – ce qui suppose de cesser de loger dans ces mêmes centres ceux qui n’ont pas à y être. Renvoyons de force dans leurs pays respectifs les déboutés qui, par définition, n’ont rien à craindre pour leur vie, au lieu de répéter vainement sans rien faire qu’ils ont « vocation » à quitter le territoire. Cessons d’héberger des étrangers qui se proclament mal logés alors que leur dossier de visas pour venir en France prévoyait obligatoirement un logement décent. Réformons le droit du travail pour permettre aux réfugiés politiques comme à tous les autres citoyens d’exercer une activité professionnelle pour subvenir à leurs besoins. Que les Français cessent de s’arc-bouter sur un droit du travail et un modèle social à bout de souffle qui les privent d’emplois et en privent les réfugiés. Bref, exigeons de l’Etat qu’il remplisse son rôle de stratège, au lieu de discourir sans rien prévoir ni rien faire. Les moyens de l’Etat doivent être adaptés et mis en œuvre au service de cette entreprise, armée, police, gendarmerie et services sociaux compris. Ceci suppose naturellement une vision, des choix, du caractère. Bref, pour changer, un gouvernement.
Dans le même temps, il faut naturellement revenir sur les accords de Schengen pour que cessent les absurdités actuelles que les peuples jugent sévèrement et qui les détournent des institutions européennes. Soit la politique actuelle du n’importe quoi continue, c’est-à-dire que chaque pays continue à délivrer dans son coin ses visas et à surveiller sa frontière, et la France devra défendre la sienne, soit une véritable communautarisation de la circulation des étrangers est décidée et les moyens nécessaires, civils et militaires, sont confiés aux autorités européennes. Je souhaite que ce transfert de souveraineté soit possible à brève échéance, mais j’en doute étant donné le manque de sérieux manifesté jusqu’à présent par les responsables concernés. Sont-ils capables, collectivement, d’édicter des règles, d’appliquer des procédures et de déployer des forces suffisantes au regard du défi actuel ?
Au-delà des drames qu’elle révèle, la crise de l’asile peut être bénéfique à notre pays et à toute l’Europe si elle permet de remettre un peu les pendules à l’heure. Soyons fidèles à nous-mêmes. Secouons-nous de la torpeur d’un demi-siècle de paresse et de cynisme. Le fil moral peut être aussi celui du salut.
François BARRY DELONGCHAMPS
Ministre plénipotentiaire (e.r.)
Ancien Président de l’OFPRA (2002-2005)